L'élan végétal

         

Ce que je découvre ce matin-là, c’est une petite église, un jardin, et un bâtiment en préfabriqué. Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend. On me présente un grand bonhomme aux cheveux grisonnants, presque blanchis, l’œil malicieux avec de grands gestes à l’italienne. Le courant passe de suite. J’entre dans ce qui sera pendant quelques années mon temple d’apprentissage. Luigi me présente les outils : broches, gradines, massettes,…Il me les met en main me demandant de choisir, car elles ont une saisie et des poids différents.

- « Il faut être à l’aise » me dit-il. Sagement, je m’exécute. J’écoute et j’observe, fascinée par sa façon de tailler.

- « A ton tour ! » Pas fière, je commence…Il corrige mon inclinaison.

- « Plus souple, le poignet ! »

Cette pièce est bien avancée, c’est une commande en marbre blanc de Carrare, et moi, je n’ai jamais taillé de ma vie, jamais sculpté d’ailleurs. Le voilà, d’un seul coup, qu’il s’en va, me laissant au travail qu’il vient de me confier. Je me raidis dans l’exécution tellement son acte me surprend, en me disant que, quelque part, il est fou ou inconscient de faire ça !

Alors je me concentre, j’essaie de m’assouplir et je garde le rythme. Un certain temps passe, et revoilà ce grand bonhomme qui refranchit le seuil de l’atelier.

- « Buono ! » Son œil inspecte.

Intermède par la personne qui m’accompagne et essaie de me conseiller.

- « Fous-lui la paix, elle a compris ! Je sais que c’est bon, au son, je sais que c’est bon !», et me regardant droit dans les yeux il me dit :

- « Tu reviens lundi ? »

- « Ok ! » , et je souris. En réalité, intérieurement je jubile, j’en suis très excitée par avance.

          

          De 3 à 4 jours par semaine pendant quelques années, je vais apprendre, et comme tout bon italien, il parle il parle il parle, mais c’est un vrai bonheur car j’ai des cours d’histoire de l’art, d’anthropologie, d’anatomie. On discute, on échange, on partage, on s’écoute. Bien souvent, je finis mes journées avec quelques bouquins empruntés dans sa bibliothèque, "mes devoirs" dit-il.

          Et voilà que se présente un gros projet. « Il marmo di Carrara » est énorme, même pas pré-taillé. Luigi a commencé une étude en terre. Nous discutons des flèches de cathédrales, de voilure, de la verticalité et des compositions organiques de la nature liées à notre intérêt commun pour l’architecture vernaculaire et le design organique.

             L’étude en terre réalisée, la maquette en plâtre effectuée, nous entrons tous les deux dans la création de ce projet fou. Il faut d’abord dégrossir ce bloc, et cela se fait à la broche. Dessus, j’apprends tout ce que je peux: dégrossissage, maîtrise du compas de sculpteur, taille, utilisation des compresseurs…

            En intermittence, je commence à préparer ma pièce personnelle : « Light and Liberty », car je dois également apprendre à tailler le marbre noir, plus explosif, le polissage ainsi que la patine.

          Cette grosse pièce, que nous avons fini par baptiser « l’élan végétal »,  nous prend beaucoup de temps. Les fonds n’arrivent pas, mais le projet est commencé, donc nous continuons.

           Elle est presque achevée quand je quitte l’atelier.

           Aujourd’hui, quelques années ont passé, et c’est avec un pincement au cœur et une certaine nostalgie que je refranchis le seuil de la porte.  Elle est toujours là, au milieu de l’atelier, comme je l’ai quittée.

2020:

« L’élan végétal » renommée "L'algue blanche" appartient à la ville de Saint-Jean-de-Monts.

Elle est exposée dans le hall du palais des congrès Odysséa.

Fabienne Soubrenie/Ayana Créations.Copyright .Tous droits réservés . 

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